Le cahier d’acteur EELV
Pour un train du quotidien, solution à l’urgence sociale et environnementale
Le projet de Ligne nouvelle Paris-Normandie (LNPN) ne se comprend en premier lieu que dans le contexte du projet de Grand Paris, porté par le Président de la République depuis 2007, avec la volonté de rapprocher Le Havre de l’Ile-de-France, et faire du port normand le débouché maritime de la région-capitale. Cette perspective d’un Grand Paris très orientée vers la « compétition-monde », jamais débattue ni au Parlement ni avec les collectivités, a été largement contestée.
La volonté présidentielle de réduire le temps de parcours entre Paris et Le Havre a provoqué la réaction des collectivités bas-normandes, soucieuses de justice territoriale, et nourri la mobilisation régionale, d’abord pour un “rattrapage ferroviaire” au bénéfice d’une région aux transports dégradés, puis en faveur d’une mise à grande vitesse de toute la ligne Paris-Normandie. Le projet de Ligne nouvelle, aujourd’hui soumis au débat public, s’est ainsi peu à peu dessiné.
Il est incontestable – et incontesté – que la situation ferroviaire des deux Normandie et de l’Ile-de-France – dans les liaisons entre ces régions, et sur leurs réseaux régionaux– mérite des investissements massifs. Les maux sont connus : engorgements, retards chroniques, vulnérabilité du trafic au moindre incident, difficultés en cascade sur chaque événement…
Les écologistes en sont convaincus de longue date : le train est un transport d’avenir parce qu’il répond aux enjeux conjugués des crises énergétiques, sociales et environnementales. La question est de savoir si la Ligne nouvelle Paris-Normandie est la réponse la plus efficace à ces enjeux.
Bien que le projet de LNPN ne soit plus celui d’une ligne à grande vitesse (LGV) à proprement parler, l’imaginaire qui a guidé la définition du projet est resté imprégné des mythologies de la grande vitesse qui fascine les décideurs publics. Persuadés des propriétés fantastiques de celle-ci, ils supposent ainsi qu’elle amènera avec elle développement économique, emploi et attractivité, sans que cela ait d’ailleurs besoin d’être, ni démontré, ni même argumenté.
Pour Europe Ecologie – Les Verts, le débat public doit interroger ces fausses évidences, posées comme indiscutables à force d’être répétées sans jamais être véritablement soumises à un examen critique. Tout autant, il devra permettre d’examiner des questions qui, jusqu’ici, n’ont fait l’objet d’aucune réponse claire ou définitive : coûts globaux de l’infrastructure, modèle de financement, impacts sur les territoires et sur l’environnement, desserte des gares intermédiaires, prix et modalité de la billettique…
Quels véritables enjeux pour la liaison Normandie(s)-Paris ?
La question posée dans et par le débat public n’est pas celle de la préférence pour le ferroviaire. La force des enjeux autant que la gravité de la situation, causée par des années de sous-investissement massif sur le réseau ferroviaire, ont achevé de convaincre tous les acteurs concernés qu’il était urgent d’agir. Sur ce point, le consensus est net. Ce qui doit être débattu, c’est la pertinence de la Ligne nouvelle, ses impacts sur les territoires et sur l’environnement, sur les autres projets et les motivations même du projet. Il y a une nette divergence entre le souci du service rendu aux usagers et une vision passéiste de l’aménagement du territoire nourrie de rêves d’équipements de prestige ainsi qu’une confusion entre ce qui est cher et ce qui est utile.
La vitesse n’est pas le premier besoin ferroviaire de la Normandie
Le premier et principal argument en défense du projet, tel qu’il a jusqu’ici été porté par les collectivités et les « grands élus », est le gain de temps de parcours, estimé, dans sa fourchette haute, à un peu plus de trente minutes. Ce faisant, la cristallisation du débat sur la seule vitesse – et, trop souvent, sur la « grande vitesse » – a esquivé toute autre question, comme si le temps de parcours devait être le seul déterminant d’une ambition ferroviaire renouvelée.
La Haute et la Basse Normandie sont des régions traditionnellement considérées comme enclavées. La réponse de l’Etat et des collectivités locales à cette difficulté s’est longtemps limitée à des investissements massifs… dans la route. C’est ainsi que le réseau ferroviaire régional a été, très longtemps, négligé.
Les deux Normandie sont pourtant des territoires maillés de nombreux bassins de vie, dont la répartition équilibrée est une richesse défendue par leurs habitants. La difficulté est dans ce que les emplois et les activités sont concentrés sur un nombre réduit de pôles urbains et cette difficulté va s’aggraver avec le renchérissement des prix de l’énergie. Dès lors, le « train du quotidien », celui qui permet de maintenir un droit à la mobilité pour chacun(e), doit être privilégié, même quand il ne passe pas par l’axe Paris-Normandie. L’enjeu ferroviaire normand, c’est l’amélioration de la connexion des différents bassins de vie entre eux. Ce serait d’ailleurs là un investissement public véritablement juste, quand la priorité au seul Paris-Normandie serait contre-redistributive : même si la majorité des salariés normands changent de commune pour aller travailler, peu changent de de région. Seuls 6% d’entre eux se rendent en Ile-de-France quotidiennement.
Ajoutons que la vitesse n’a de sens que pour des trains directs. Dès lors, quelles conséquences pour la desserte des gares intermédiaires, dans des bassins de vie et d’emploi souvent déjà fragiles ? Quelles conséquences, aussi, sur le prix des billets ? Une augmentation du prix – qui pourrait aller de 30 à 60% – aggraverait encore les effets inégalitaires, privant les usagers les plus modestes de l’accès au train, et les enfermant plus encore dans la contrainte, coûteuse, de la voiture générant de plus des gaz à effet de serre qui renforceront les effets du changement climatique. C’est le paradoxe annoncé – en 1973 – par Ivan Illich : l’organisation des transports et l’aménagement du territoire créent des « distances au dépens de tous, puis les réduisent seulement au profit de quelques uns ». Ce qu’attendent les usagers, ce sont pourtant des trains qui arrivent à l’heure, pas forcément plus vite.
Un effet sur l’économie fantasmé
L’apport bénéfique d’un équipement de type « grande vitesse » à l’emploi et au développement économique d’un territoire n’est toujours pas démontré. Et ce d’autant moins que les emplois, les activités et les richesses à venir seront à développer dans les secteurs de la transition énergétique, du soutien aux énergies renouvelables, de la relocalisation de l’économie, pas dans les grands projets qui fascinent plus qu’ils ne créent, et dissimulent mal, derrière l’épaisseur de la facture, le manque d’imagination de leurs promoteurs.
Un impact sur l’environnement à ne pas négliger
Les projets de ligne nouvelle imposent une coupure supplémentaire dans les territoires traversés, impactant des espaces naturels et des biotopes parfois déjà fragiles. Sur ce point, le pire des scenarii est le 3. Si des mesures compensatoires peuvent être prises, l’opportunité du projet se mesure aussi au regard de ce que sa réalisation suppose d’impacts.
En Ile-de-France, oui à un investissement majeur sur Paris-Mantes, maillon d’une amélioration des relations Paris-Normandie
La ligne Paris-Mantes dans ses parties à deux voies entre Poissy et Mantes-la-Jolie constitue l’un des plus graves points d’engorgement du réseau francilien. S’y succèdent des trains de grandes lignes pour les deux Normandie, de cabotage vers Evreux et Rouen, essentiellement porteurs de déplacements domicile travail, des trains de banlieue directs ou semi-directs et des trains de fret. Le moindre grain de sable provoque des retards en série insupportables pour les usagers.
Il y a donc un intérêt commun aux trois régions à soutenir la ligne nouvelle Paris (La Défense) – Mantes au travers des propositions suivantes :
Désengorgement de la ligne Paris Mantes. Amélioration de la régularité et des temps de parcours vers les Normandie. Mise à niveau entre Rouen et le Havre, Mantes et Rouen, et Mantes – Caen.
Libération de sillons entre Mantes et Paris. Accroissement de l’offre banlieue Poissy -Paris et Cergy -Paris.
Arrivée facilitée du RER E de Saint Lazare à La Défense – Poissy et Mantes.
Articulation avec le future Ring TGV déjà partiellement réalisé autour de la capitale, favorisant les déplacements province – province.
Nos demandes d’études complémentaires prises en compte : pour une sobriété des investissements.
La Commission nationale du débat public (CNDP) a officiellement accepté les demandes d’études complémentaires formulées par Europe Ecologie – Les Verts (notre demande et la réponse sont disponibles sur notre site internet, www.lnpn.eelv.fr). C’est une bonne nouvelle, qui permettra au débat public d’être véritablement éclairé sur les alternatives à moindre coût d’amélioration de l’existant. Notre hypothèse est qu’il est possible, sur la base d’investissements plus raisonnables, d’améliorer la situation (y compris sur le plan de la vitesse, mais dans des proportions plus atteignables). Les résultats de ces études seront déterminants.
L’enjeu ferroviaire régional : assurer le droit à la mobilité aujourd’hui, améliorer le report modal[1] pour demain.
Pour faire de la Normandie une région durable et solidaire, la priorité est le maillage du territoire et l’amélioration des liaisons avec les autres régions : Ile-de-France bien sûr, mais aussi Pays de la Loire, Centre, Bretagne et Picardie. Relier aujourd’hui Caen à Rennes en train est deux fois plus lent qu’en voiture ; la liaison Rouen-Evreux est difficile, pour ne pas dire plus ; l’axe Caen-Rouen est l’un des rares à perdre des voyageurs tant le service est dégradé ! Au-delà, les projets ne manquent pas : axe Nord-Sud dans la Manche, réouverture d’une ligne entre Caen et Flers, desserte de Honfleur, Rouen-Evreux… En péri-urbain, le retour d’expériences des nouvelles haltes autour de Caen montre que la reconstitution d’étoiles ferroviaires répond aux attentes des habitants. En milieu rural, le renforcement de la desserte entre les pôles moyens (Saint-Lô-Coutances par exemple) serait bien plus pertinent que le lancement des nouveaux chantiers routiers envisagés.
Les projets ici cités, s’ils sont parfois modestes, pourraient considérablement améliorer la mobilité ferroviaire des normands. Mais si l’on décidait de consacrer jusqu’à 15 Mds € à la seule Ligne nouvelle Paris-Normandie, comment croire – et laisser croire – que des moyens publics seraient encore disponibles pour d’autres lignes ?
Ajoutons que l’axe vers Paris n’est pas le seul qui puisse, si l’objectif devrait demeurer, relier la Normandie au réseau grande vitesse : l’axe Caen-Tours, via Le Mans et Saint-Pierre des Corps, est relié à un trafic TGV desservant tout le pays.
Le report modal concerne aussi les marchandises
Malgré les engagements publics répétés de lutte contre le dérèglement climatique, les surconsommations d’énergie et, sur un autre plan, l’amélioration de la sécurité routière, le trafic routier de marchandises poursuit son développement. Les gares fret ont été fermées en Basse-Normandie, et Sotteville, en Haute-Normandie, n’est plus qu’un cimetière pour tractions fret. La réponse à cet abandon organisé du fret ferroviaire, ce n’est pas une nouvelle ligne, mais bien une volonté politique véritable, cohérente et soutenue, de mettre en pratique les engagements de principe ! Dans une première phase, RFF et la SNCF doivent rendre rapidement opérationnel et emprunter l’itinéraire Motteville, Serqueux, Gisors Ile de France afin d’offrir un itinéraire fiabilisé aux trains issus du port du Havre.
Financer et réaliser d’abord ce qui est indispensable
Une facture globale insoutenable
Le coût prévisionnel du projet LNPN dans sa totalité s’établit entre 11 à 15 milliards d’euros. Dans un contexte de crise durable, où les collectivités s’interrogent déjà sur le maintien de politiques existantes, il est surprenant de constater qu’un tel coût, loin de rebuter, semble même susciter l’enthousiasme. A ce jour, l’État n’a pas chiffré le niveau de sa participation. Réseau Ferré de France (RFF), porteur du projet, très lourdement endetté, annonce vouloir rembourser son investissement par les péages de l’opérateur, la SNCF, qui n’aura d’autre choix que de répercuter ce coût sur les usagers. Les collectivités, dont la plupart n’ont pas à ce stade annoncé le niveau possible de leur engagement, devront probablement s’acquitter de la plus lourde part du fardeau. Dès lors, on peut légitimement craindre, puisque les ressources ne sont pas infinies, une dégradation du niveau des investissements – plus légers mais indispensables – sur le reste du réseau ferroviaire : Paris-Granville, Caen-Tours, Caen-Rouen….
À trop en vouloir, le risque de tout perdre ?
Le risque n’est en outre pas négligeable de voir la réalisation d’un tel projet repoussée ad vitam aeternam. Loin de nous réjouir, une telle perspective nous inquiète, car la logique du tout ou rien comporte un risque : celle de tout perdre. Or, si la totalité du projet n’est clairement pas opportune, l’amélioration de l’existant et la ligne nouvelle Paris-Mantes sont urgentes. Rappelons d’ailleurs que c’est à peu de chose près ce que prévoyait le plan Bussereau en avril 2009.
Vers la privatisation de la ligne ?
Faute d’une capacité publique – État et collectivités – suffisante à financer le projet, la solution proposée – et déjà avancée – serait celle d’un partenariat public-privé (PPP). Conséquence : un réseau ferré privatisé de fait, une facture alourdie supportée par les collectivités et l’usager, et d’éventuels bénéfices pour le seul opérateur privé. Le contraire exact de la satisfaction de l’intérêt général.
Conclusion
Nous ne ferons pas tout. L’enjeu est de définir des priorités, phaser les réalisations, et choisir l’utile.
Parce que nous sommes porteurs d’une très haute ambition ferroviaire pour nos régions, parce que nous soutenons le train comme un moyen de transport efficace, moins polluant et répondant aux besoins de mobilité de ses usagers, nous proposons d’agir avec pragmatisme.
Nous soutenons ainsi la réalisation d’une ligne nouvelle entre Paris et Mantes, indispensable au désengorgement ferroviaire du secteur, utile aux usagers de nos trois régions. Nous souhaitons la construction d’une nouvelle gare à Rouen Saint-Sever, l’actuelle étant déjà totalement saturée et sous-dimensionnée pour répondre aux besoins de développement de l’offre ferroviaire. Enfin, sur le reste du tracé, nous proposons de renoncer à des perspectives aussi incertaines que démesurées, pour consacrer l’énergie et les ressources disponibles à améliorer l’existant.
L’explosion des prix de l’énergie n’a pas été anticipée. Ses conséquences concrètes, et quotidiennes dans la vie de chacun l’ont été moins encore. Et pourtant, l’urgence est là, et l’enjeu considérable. Le transport conditionne, pour des millions de normands et de franciliens, l’accès à l’emploi, à la formation, au logement et à la qualité de vie.
Le diagnostic est connu depuis longtemps, et la complexité des réponses également. Raison de plus pour admettre qu’on ne pourra pas tout faire, et surtout pas tout en même temps, puisque ni les délais en jeu ni les budgets ne le permettent. Raison suffisante, aussi, pour enfin évaluer chaque dépense au crible de son utilité réelle sur le long terme, et reconnaître que les milliards d’euros dépensés à « faire comme avant » (des infrastructures surdimensionnées pour des besoins jamais démontrés, qui seront obsolètes avant même leur réalisation) manqueront pour financer le choix de solutions alternatives qui, elles, auraient été utiles, et réellement prioritaires.
Résumé du cahier d’acteur
La situation ferroviaire des deux Normandie et de l’Ile de France appelle des investissements massifs à la fois dans les liaisons interrégionales et intra-régionales. Retards chroniques, saturation des voies et des trains, vulnérabilité du trafic au moindre incident : les maux sont connus. La priorité n’est pas de gagner du temps, mais bien d’apporter des réponses aux besoins des usagers amenés à se déplacer quotidiennement.
Financer et réaliser l’indispensable : création d’une nouvelle ligne entre Paris et Mantes afin de séparer le trafic banlieue du trafic Normandie. Résoudre la saturation du nœud ferroviaire rouennais par la création d’une nouvelle gare. Améliorer l’existant entre Mantes et les deux régions normandes.
Favoriser la mobilité du quotidien : le projet LNPN n’est pas celui qui apportera des solutions aux besoins de mobilité du quotidien et favorisera le report modal tant pour les voyageurs que pour les marchandises. Concentrer 11 à 15 milliards d’euros d’investissements sur un seul projet, c’est à coup sûr priver les collectivités locales et RFF de moyens financiers pour développer les réseaux régionaux et les dessertes interrégionales.
Quelles conséquences ? Augmentation importante du prix du billet, mise en place de la réservation obligatoire, dégradation de la desserte des gares intermédiaires, privatisation de la ligne par le recours à un financement par partenariat public privé (PPP), impact sur l’environnement et les territoires ; autant d’inquiétudes qui ne peuvent être écartées.